"LE PAON DU JOUR" de Thomas Arfeuille
Le paon du jour
Thomas Arfeuille
J’aimerais bien vous dire dès le début que les choses dont je vais vous entretenir sont passionnantes et que tout le monde comprendra leur importance et leur complexité mais ce serait une ânerie en réalité parce que ce matin-là les évènements n’ont pas pris un tour fondamentalement différent des tours que me joue la vie quotidiennement vu que voilà comme souvent je faisais la grasse matinée en lisant des illustrés dans ma chambre mon occupation préférée le dimanche matin rien d’exceptionnel et que Léo et Tim chahutaient dans le jardin comme chaque dimanche et que maman a crié comme d’habitude depuis la porte de la cuisine entre-ouverte sur le jardin « cessez-donc chenapans » ce qui n’a eu aucun effet de plus que d’habitude étant donné que Léo et Tim sont encore et toujours des chatons qui ne pensent qu’à s’amuser en se battant et en fichant la pagaille ce sont des chenapans de chats de plus maman était déjà ultra concentrée sur la préparation de son fameux riz au lait dont elle nous régalait le dimanche les survivants des précédentes régalades du moins alors elle a laissé tomber elle a fini par les laisser faire « c’est assez, merde » a-t-elle juste crié sans que nul ne sût si elle s’adressait aux chats ou comme si elle parlait de sa fameuse recette de riz « c’est assez, merde » ou « c’est assez merde » comment savoir sans posséder une oreille à virgule ce que maman disait en tout cas les chenapans de chats n’en tinrent aucun compte et continuèrent leur cirque et moi bizarrement je commençais à espérer qu’une catastrophe n’importe laquelle vint soudain éclipser l’admirable lumière du matin définitivement l’admirable lumière de tous les matins tant qu’à faire et que tout le monde meure et que tout le monde meure de faim et que je fusse exempté de riz au lait le dimanche jusqu’à la fin de mes jour et vive la fin du riz au lait et vive la fin du monde j’avais pourtant développé au fil des ans passés en compagnie de ma mère un estomac inoxydable mais zut j’entendais Tim et Léo chahuter particulièrement bruyamment ce matin-là dans le jardin cela avait sans doute exacerbé mes nerfs hyper sensibles cette fois car cette fois ces chenapans de chats se démenaient comme des fous alors je suis allé à la fenêtre de ma chambre et les ai observé à la dérobée comme si je volais les dernières images du monde c’est à dire un film de chats maîtres de l’univers et je vis Tim poursuivre Léo qui poursuivait un papillon pour le tuer et c’était le paon du jour.
Thomas Arfeuille