Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

RIS DE MOTS

1 mai 2024

"Un, deux, trois, debout !" Aglaé Vadet

Un, deux, trois, debout !


Quelques éboulis de mémoire
Derrière les stores des paupières
Nuit silence. Mots du matin
Semés de chagrins minuscules

Le soleil, sans pinceaux
Va peinturlurer la nature
Le bleuet en bleu, la rose en rose
Après que la rosée dépose
ses larmes d'aquarelle

Je fredonne la matinée
Appuie tout doux sur la touche dièse
Envoie valser mes charentaises
Chausse en vitesse mes afflelous

Plutôt le réveil que le rêve
Au gré de mes élans loufoques
Pour gambiller à l'étourdie
Tantôt au loin, tantôt ici
Toujours vers mes intenses envies
D'encore...

 

Aglaé

Publicité
Publicité
29 avril 2024

Boîte en faire de Noel Noel

J’ai eu la chance de publier des textes de cet auteur dans ma petite collection « EMEUTES » en 2008. Recueil illustré par des photos de Sarah Aït-Ali. Couverture de Sylvie Huret, infographiste.

Titre : « Boîte en faire » de Noel Noel.

Tiens, voici un texte tiré de cette boîte :

 

A travers carreaux

 

 Et voilà ! Ça c’est le truc qui me rend complètement fou.

 Le moment où, arrivé au supermarché, je me rends compte que je ne sais pas où se trouve ma liste de course. Cette feuille de bristol à petits carreaux vert pâle cartonnée que j’ai décrochée des autres juste avant de partir.

 Je me rappelle bien, l’avoir fait glisser de la pince à linge du support mural de condiments, non sans avoir recadré toutes ses autres fiches bristols vert pâles consœurs. Mais là, où s’est-elle cachée ?

 Je me rappelle tout d’elle, la texture de sa peau, le son qu’elle fit quand elle se plia sous mes doigts, puis, son regard quand je m’approchai…

 J’ai en horreur l’idée qu’elle soit seule, qu’elle ait peur, nous qui avons déjà tant partagé… ces moments où l’appréhension de manquer de café, de chapelure s’estompait quand elle s’écrivait si bien, sans crisser un instant.

 Nous qui avons tant ri lorsque nous avons vu ensemble que les cornichons et les concombres se suivaient comme des enfants précédant leurs mamans.

 Puis que dire de son désir de séduction quand elle me proposa un jour, au détour d’un regard l’air de rien, de n’acheter que des articles en c pour qu’elle ne me paraisse jamais négligée.

 Oui, ainsi tout les c se retrouvaient convenablement alignés sur la ligne verticale du deuxième petit carreau, ce qui convenait parfaitement à ma cuisine, elle si coquette et soucieuse de le rester (nous en avons parlé ensemble justement hier soir). Cela scella entre nous trois un grand moment d’harmonie…

 Où est-elle ? Veut-elle éprouver mon attachement ? Ressentir ma souffrance de tant de négligence ? Moi, qui d’habitude la cale avec soin dans le coin de mon cabas calé dans mon caddy, qui la sait là, me rassurant de sa présence.

 Entre nous ces mots que sont cidre crêpes crevettes carottes choux canards comté crépinette camembert champignon ciboulette chocolat croquettes de chat cacahouètes confiture de coings côtelettes sont autant de promesses d’amour dont les c alignés sont des parenthèses jamais fermées… des horizons ouverts…

 On pourrait me dire : mais tu n’en as pas besoin, tu prends toujours les mêmes produits, méthodiquement et chronologiquement selon ton rituel parcours dans l’hypermarché… vous ne pouvez pas comprendre… pas saisir les concessions mutuelles qui m’ont fait renoncer au Pepsi pour le coca, qui la laisse des journées entières dans la cuisine à m’attendre, sans jamais un reproche…

 Chaque semaine, c’est comme si nous réécrivions notre histoire, l’exaltation d’un territoire vierge où tout renaît, savoir alterner les différentes couleurs de stylos bille pour se surprendre, et des fois, soyons fous, se saisir d’une plume et d’un encrier pour nous rapprocher… nous rapprocher de l’extase du samedi aprèm…

 Je vous le dis discrètement, je ne l’oublierai pas, main sur le cœur…… oooohhhhh, mais j’y croooiiiiiis paaaaaas… Dans la poche de ma chemise, bien lovée contre moi, comme un papillon blessé, fragile, à ma merci d’un oubli dans la machine à laver.

 Ah au fait, la machine à laver dans le cellier près du frigo, quand j’y repense…

 Quelle salope !!!

Noel Noel

 

Sacré Personnage :

NOEL NOEL

 

15 avril 2024

"Œil bleu" Jean Barbé

Je ne peins pas comme Dali

Et je n’écris pas comme Eluard

Mais quand la nuit le soir a mis

Dans ton œil bleu ce p’tit point noir

Rien que pour moi

Ça te donne un air de Gala

Rien que pour moi

Qui ne peins pas comme Dali

Et n’écrirai jamais comme Eluard

 

Jean Barbé

8 avril 2024

Photo de DV "incontournable"

Ne manque plus que le poisson…

- Mais je suis là !! 

Domie Vadet photos
Domie oiseau sur son balcon

https://youtu.be/9BDyEB4T84g?si=kgB1UGA2TPO2xXEK

5 avril 2024

Time raker de Thomas Arfeuille

Time raker

Thomas Arfeuille

 

         L’avenir ne nous appartient pas ; les obstacles qui s’opposent aux excursions dans le futur (et ne parlons pas de celles dans le passé !) paraissent insurmontables. Certes, la montre d’un astronaute qui gravite en orbite basse, à environ vingt-huit mille kilomètres par heure, ralentit légèrement par rapport à nos horloges terrestres, selon les lois de la Relativité, et, lorsque l’astronaute revient de sa mission, il atterrit dans ce qui est, pour quelques fractions de secondes, un monde qui a vieilli plus vite que lui. Toujours selon les équations d’Einstein, il « suffirait » de se déplacer presque aussi vite que la lumière pour que cette différence devienne mesurable en années, ou bien il « suffirait » de s’approcher d’un corps aussi massif qu’un trou noir de bonne taille. Mais, à supposer que l’on parvienne un jour à réaliser de tels exploits, pourra-t-on dire que l’on a réussi à voyager au-delà du présent ? N’aura-t-on pas simplement « ralenti » artificiellement le vieillissement du voyageur en le faisant changer de repère spatio-temporel ?

          Nul ne sait en vérité ce qu’est le temps, et d’aucuns prétendent même qu’il n’existe pas, qu’il n’est qu’une construction de l’esprit humain et que tout n’est en réalité que mouvement des horloges, agitation, dispersion, dilution, entropie, course éternelle vers le chaos au sein d’une nuit sans commencement ni fin.

 

         Voilà, en résumé, ce que les gens raisonnables peuvent penser des voyages dans  le temps. Enfin, quand je dis « les gens raisonnables »… je veux dire certains scientifiques. Les poètes et les amateurs de science-fiction pensent autrement. Étant moi-même un grand lecteur de romans d’anticipation, je n’ai rencontré aucune difficulté pour fabriquer ma machine à explorer le futur : le Time Raker. La science-fiction ne me fait pas peur.

         Je n’utilise pas une source d’énergie formidable pour propulser le voyageur à une vitesse proche de celle de la lumière. Je n’envoie pas non plus mon passager au bord du gouffre sans fond d’un trou noir. Je ne tiens pas à révéler le secret de mon procédé, pour une question de brevet ; néanmoins, je peux vous dévoiler quelques aspects de ma machine. Son design est inspiré d’une illustration que j’ai trouvée dans une vieille édition de The Time Machine, l’œuvre de H.G. Wells. L’appareil de Wells ressemble à un œuf, ce genre d’œuf qui sert de remonte-pente dans les stations de ski, et, en fait, mon propre appareil est réellement un de ces œufs : il s’agit d’une cabine réformée de Megève ou d’Avoriaz, je ne sais plus, que j’ai dénichée chez un brocanteur et que j’ai équipée de toutes mes inventions. J’ai bien failli la baptiser « Mago », en hommage à la skieuse Marielle Goitschel, mais j’ai finalement préféré « Time Raker » car cela sonne mieux.

          J’avoue que ce choix d’un vieux remonte-skieurs à bon marché me fut également dicté par des considérations budgétaires. Totalement fauché, j’ai dû m’adresser à des « banquiers » qui n’ont pas pignon sur rue, si vous voyez ce que je veux dire, pour financer mon projet. Des individus peu recommandables, des vampires qui ont tout de suite commencé à me sucer le sang avec des taux d’usure épouvantables. J’ai reçu quelques lettres de rappel assez peu amènes, et, pas plus tard qu’hier, j’ai découvert un chat crevé devant la porte de mon laboratoire. Mais bon, l’essentiel est là : le Time Raker est prêt ; il ne me reste plus qu’à le tester sur un cobaye.

         Mais voilà que j’entends des bruits de pas dans la cour. J’entrouvre le store d’une fenêtre de mon atelier, je jette un coup d’œil dehors, et, mon Dieu ! Je les vois, ce sont eux. Mes créditeurs, ces assassins. Je suis perdu. À moins que…

         Le cobaye, ce sera moi. Je serai le premier passager de ma fabuleuse machine.

          Je m’installe à bord et je règle le curseur temporel sur la position « cent ans ». Je regrette de ne pouvoir écrire une lettre d’adieu à l’attention de mon épouse, de mon fils, de mes amis et de Jean-François (le patron du bar Le Balto) avant de faire le grand saut, mais je n’ai pas une minute à perdre.

         Ce n’est pas sans une certaine appréhension que je pousse le levier de démarrage. Je peux aussi bien me rematérialiser dans un monde idéal qu’au milieu d’une furieuse dystopie.

 

         Car nul ne sait de quoi le monde futur sera fait avant d’y être allé, nul ne sait en vérité ce qu’est le temps et d’aucuns pensent même que le temps, considéré comme un fleuve coulant régulièrement du passé, en amont, à l’avenir, en aval, n’existe pas.

 

Thomas Arfeuille

Publicité
Publicité
1 avril 2024

RIEN.

Illustration : Agla - "Grosses têtes".

Illustration : Agla - "Grosses têtes".

Rien.

 

   Mes yeux fixent le cendrier nauséeux, un dernier mégot vient s’agenouiller auprès de ses confrères vêtus de blouses blanches qui attendent le cul vautré dans leurs immondices une prière qui ne viendra jamais. Rien n’est plus suggestif qu’un cendrier crasseux : nous sommes tous des petits mégots mal odorants en attente. Ecrasés par les années, tordus par les souvenirs, puants de lucidité, nous attendons. Certains sont grands et gardent la tête haute, d’autres, tout ratatinés, ont le ventre éclaté par les mensonges, quelques-uns se sont même laissé consumer entièrement ayant trop espéré. Mais tous attendent au fond d’un mouroir de cristal ou celui, plus bruyant, aux couleurs boulimiques, affalé sur le quai d’un comptoir de bistrot, qu’on leur apporte leur part de bonheur, leur petit quartier de bon Dieu surgelé.

Après tout je ne suis qu’une idée, une toute petite idée oubliée sur ce zinc de banlieue, barbotant désespérément dans une larme qui a chu de l’œil d’un homme triste et solitaire. Une minuscule petite idée qui disparaîtra comme tant d’autres, absorbée par l’éponge madrée d’une aubergiste légume. Une idée, un poème, une histoire immergée au fond d’une larme d’artiste, ventre liquide et salé où voyagent mes aventures, mes tourments et mes obsessions. Et quand l’idée se met à pleurer sous la violence de la plume meurtrière, je sens mon âme qui se fissure, noyée dans le sanglot de n’être plus...

Dan

26 mars 2024

Elle m'emmerde - Brassens

21 mars 2024

Chapeau...

J’écoute ton visage, tes mains, ton rire, tes seins. Musique chavirée, déglinguée. Outrance. Ta façon d’aimer. Ta façon de m’enlacer. Tes yeux me caressent. Ton regard me flanque la toquante. Là. Au même endroit où je t’ai lue toute en chevelure dans la cohue arrachée au Désir. Ta nudité métaphore l’envie torride de sentir nos corps se glisser sans pudeur vers le Parfum indocile. Tu es mon exubérance Baise, ma Culbute…

Dan

29 février 2024

Mariage à Châlons-en-Champagne de Thomas Arfeuille

romeo Domie V

 Photo de D.V.

 

Mariage à Châlons-en-Champagne de

Thomas Arfeuille

            Jean-Marc et Armando parvinrent à Châlons-en-Champagne avant que leur vieille Renault ne tombât en pièces détachées. Ils se garèrent juste en face de l’église. Jean-Marc, dont la portière était bloquée, se contorsionna comme un ver pour s’extraire du véhicule en passant par sa vitre ouverte ; Armando, dont la portière fonctionnait à merveille, en sortit normalement, mais ensuite il cria « bonjour Châlons » à la cantonade  en écartant les bras comme un politicien en campagne.  Puis, quand Frank le rouennais et Valérie la châlonnaise descendirent les marches du perron, ils leur lancèrent des poignées d’air pour imiter les gens qui leur jetaient des grains de riz. Il y avait peut-être deux cents personnes sur le parvis, et tout le monde les regardait.      

            Une Rolls bleu pâle, d’un modèle ancien, avec chauffeur, s’arrêta au milieu de la place. Les mariés s’y engouffrèrent et la Rolls repartit, accompagnée, dans un concert de klaxons, par une file de belles voitures, lustrées, étincelantes, et en parfait état de marche. Estimant qu’ils s’étaient suffisamment distingués pour le moment, les deux pitres ne suivirent pas le cortège. Ils roulèrent jusqu’à la MJC, où Frank leur avait retenu une chambre, et y jouèrent au scrabble en attendant la fête de mariage qui devait commencer à vingt et une heures dans la salle polyvalente de la ville.

            Ils avaient emmené leurs guitares. Frank avait embauché des musiciens professionnels pour la soirée, et ceux-ci avaient accepté de les laisser répéter un peu avant eux, sur la scène, quand il n’y aurait personne. Ils n’avaient encore jamais eu l’occasion de monter sur une scène. Leur petit groupe de blues-rock amateur (Frank à la batterie, Jean-Marc à la guitare, Armando à la basse et au chant) était tout récent. Ils approchaient tous  trois de la trentaine, et cette passion à la fois subite et tardive pour le rock amusait beaucoup Valérie. Elle disait qu’ils étaient « des adolescents attardés qui refusent de grandir ».

            Ils se rendirent à la salle polyvalente vers vingt heures, l’heure convenue avec Frank. Cependant, il devait y avoir un malentendu : les employés du traiteur finissaient d’installer le buffet et les invités arrivaient déjà. Robes de soirée, blazers, cravates, nœuds papillons. Frank, qui avait gardé son costume de cérémonie, courait de l’un à l’autre.

            « Il aurait dû nous dire qu’il s’agissait d’une soirée habillée », soupira Jean-Marc, dont le T-shirt affichait, en grosses lettres, une inscription très cool et très Jazzy : « SO WHAT ? »

            « Comment peut-on faire un nœud à un papillon, ajouta Armando. C’est cruel. »

               Le marié les aperçut et vint les rassurer : « On passera après, quand tout ce beau monde sera parti. » Puis il retourna discuter avec des cousins de Valérie.  

            Un serveur poussait un charriot rempli de bouteilles de champagne. Ils en attrapèrent une.  « Un mariage en champagne à Châlons-en-Champagne, j’aime ! », s’exclama Armando.

            Les musiciens commencèrent à jouer. C’était une formation de rythm and blues complète, avec des choristes et une section de cuivre. Ils enchaînèrent les standards pendant deux bonnes heures, puis firent une pose, puis jouèrent une heure encore avant de saluer l’assistance. On les rappela. On leur aurait bien demandé de jouer la nuit entière. Ils reprirent Midnight hour, de Wilson Picket, puis ce fut terminé. Jean-Marc et Armando n’avaient jamais vu un groupe de Rhythm and blues aussi bon, que ce fût au Bateau Ivre, à Rouen, ou ailleurs. Ils n’avaient jamais entendu un groupe reprendre aussi bien Midnight hour. Eux aussi reprenaient Midnight hour, mais leur version, sans cuivres, sans chœurs et sans un chanteur digne de ce nom, n’avait rien de comparable.

            Armando en était à sa troisième bouteille de champagne, Jean-Marc un peu moins. Frank réapparut.  

            « Vous ne vous ennuyez pas trop les amis ?

            – Pas du tout, dit Armando. Le champagne… heu… le groupe était très bon.  

            – N’est-ce pas ?  Et maintenant, c’est à nous. »

             Armando avala de travers. La salle n’avait pas désempli.

            «  Maintenant ?

            – Je l’ai promis à Valérie », expliqua Frank. Et il partit s’installer à la batterie.

             « Il nous a bien eus, résuma Armando.  

            – Tu n’as pas trop bu ? lui demanda Jean-Marc.

            – Je ne bois jamais trop. Je ne sais pas ce que l’on va bien pouvoir leur jouer… »

            En réalité, il le savait pertinemment. Leur répertoire était très limité : Hey Joe, Midnight hour.  

            « Bon, on n’a qu’à commencer par commencer Hey Joe.     

            – Hey Joe, pour un mariage…   

            – Quoi ?

            – Les paroles. Tu sais ce qu’elles racontent ?

            – Non, bien sûr : c’est de l’anglais. Mais, phonétiquement, je les connais parfaitement.

             Sur la scène, Frank leur faisait de grands gestes.

            « On dirait qu’il s’impatiente, remarqua Jean-Marc.

            – Oui, il semblerait», confirma Armando.

            « Ne touchez pas aux amplis, ils sont réglés », leur dit Frank quand ils le rejoignirent sur l’estrade. Ils n’y touchèrent pas. De toute façon, Armando n’était pas un fanatique des réglages et Jean-Marc arrivait toujours à extirper de sa  Stratocaster les notes effrayantes qui étaient sa spécialité. Son pouvoir sur la distorsion tenait du surnaturel. Il lui suffisait de regarder un amplificateur pour que celui-ci se mît à saturer, et, mieux encore, il n’avait pas même besoin de ce genre d’appareil pour vous détruire les tympans. Armando l’avait vu une fois se servir d’une guitare classique, une guitare équipée de cordes en nylon donc, et non amplifiée : eh bien, il la faisait hurler comme une guitare de heavy métal.

            Ils firent semblant de s’accorder.  

            « C’est étrange de devoir jouer avec un batteur en costard, dit Armando.  

            – Et alors ? dit Jean-Marc.

            – Le rock est mort.

            – C’est son mariage…

            – Ce moment restera gravé dans ma mémoire.

             Frank entrechoqua quatre fois ses baguettes, comme en répétition, puis ils firent tourner les cinq accords de Hey Joe, restèrent longtemps sur le mi – le temps qu’il fallait – et Armando commença à chanter, mais il eut l’impression de chanter dans le vide : il ne s’entendait pas. Il poussa sa voix, cela ne changea rien. De plus, il entendait à peine sa Rickenbaker et la Stratocaster de Jean-Marc. Tout ce qu’il entendait distinctement, c’était la batterie. Il crut d’abord que son micro était débranché et que les amplis de basse et de guitare étaient baissés au volume minimum. Le public, cependant réagissait. Les gens battaient la mesure, quelques-uns se levaient et s’approchaient de la scène comme s’ils étaient aimantés. Ils devaient bien entendre quelque chose, eux. Le problème, donc, venait sans doute uniquement de son enceinte de retour – sans retour, dans certaines salles où le son se propage de façon unidirectionnelle, le musicien est à peu près sourd. Alors il poursuivit :

                        Hey Joe, where you goin’ with that gun of your hand ?

                        Hey Joe, I said, where you goin’ with that gun in your hand ?

                        I’m goin’out to shoot my old lady

                        You know I caught her messin’round with another man.

                                                           Etc.

             Jean Marc conclut Hey Joe par un larsen épouvantable.

              « Une autre ! » leur cria-t-on.   

             « Tu te souviens de l’intro de Midnight hour, Jean-Marc ? demanda Armando.  

            –  Midnight hour… Tu crois que…

            –  Midnight hour est une excellente chanson de  mariage. D’ailleurs « ils » l’ont jouée avant nous.

            – Justement : ils l’ont jouée avant nous. Et nous, sans cuivres, sans chœurs et sans un vrai chanteur…

            – On sera plus rock. »

            Frank entrechoqua quatre fois ses baguettes.

             Midnight hour fut aussi un succès. Armando avait du mal à y croire. C’était donc cela la magie du rock and roll ? On produisait n’importe quelle bouillie inaudible et la magie opérait ? C’était aussi facile ?  

            Les gens, qui applaudissaient, en voulaient encore.

            Ce fut un des cousins de Valérie qui les tira d’affaire. Il vint leur demander s’il pouvait emprunter la guitare de Jean-Marc. Il avait toujours rêvé de jouer en public. Jean-Marc lui céda volontiers sa Fender.

            Le cousin joua son morceau, un instrumental. Armando l’accompagna tant bien que mal, il  regardait où le nouveau guitariste plaçait ses doigts sur son manche pour avoir une vague idée de la ligne de basse. Sans doute s’agissait-il d’un morceau très rock, car, ô miracle du rock, tout se passa fort bien une fois de plus, comme dans un rêve absurde. Quand le massacre fut achevé, le père du cousin monta sur l’estrade et embrassa son fils. « Tu as bien progressé, Antoine. Il faut dire qu’avec de tels musiciens… »  Puis la sœur du cousin, un frère du cousin, des copains du cousin, des cousins du cousin virent à leur tour le féliciter. Frank et Armando  en profitèrent pour s’éclipser.

            Les musiciens professionnels revenaient pour ranger leur matériel. Leur frontman vint complimenter les nouvelles stars du rock : « C’était très bien, les artistes. Toi, le bassiste, tu possèdes une  belle voix de crooner. Et toi, le guitariste… Quelle finesse, quel phrasé ! »

             «  Il se fiche de nous, dit Armando lorsqu’il fut parti. Et c’est sûrement lui qui a coupé mon retour. Volontairement. Je ne m’entendais pas.

            – Cela vaut peut-être mieux », dit Jean-Marc.

            Mais d’autres  admirateurs, nombreux  (ils n’en connaissaient pas la moitié), se manifestèrent bientôt, et cela continua : « Quel velours dans la voix vous avez, Armando ! Quel timbre !  Et vous, Jean-Marc, quels beaux arpèges, quelles harmonies, quelle subtilité dans votre jeu ! »     

            « Ben merde », fit Jean-Marc quand le défilé cessa.

            « Les gens ne comprennent pas le message que contient notre musique, analysa Armando. Il va falloir que nous durcissions notre répertoire.

            – À quoi penses-tu ? Plus de distorsion ?

            – Non ! Je te verrais plutôt jouer le solo de Hey Joe avec les dents, par exemple. Comme Hendrix.

            – Mes dents !

            – Frank est dentiste…

            – Je suis contre la chirurgie dentaire entre rockers.  

            – Reprenons une bouteille de champagne.

            Ils quittèrent les lieux parmi les derniers. La Renault refusa de démarrer. Calmement – avec le calme qu’engendre l’habitude – Armando saisit le marteau qu’il y avait dans le bac de sa portière, sortit, ouvrit le capot, cogna sur le démarreur pour décoller les charbons. Après ce traitement, le moteur partit au premier coup de clé. Ils rentrèrent à la MJC et s’écroulèrent sur leurs lits.

                                                               *

            Armando se leva vers dix heures. Il constata que ce que l’on disait du bon champagne – « le bon champagne ne fait pas mal au crâne » – était vrai, du moins en ce qui le concernait. Le bon champagne ne semblait pas avoir la même innocuité avec Jean-Marc, qui se tenait la tête à deux mains.

            On frappa à leur porte. Armando ouvrit. C’était le cousin guitariste.

            « Salut les rouennais, vous allez bien ? Programme chargé aujourd’hui : vous êtes très demandés. Habillez-vous et suivez-moi. Oh, et puis, prenez toutes vos affaires. Il faut libérer la chambre. »

             Cette fois, la Renault démarra sans broncher. Ils suivirent la voiture du cousin. Valérie possédait un nombre incalculables de cousins, cousines, oncles et tantes, amies et amis à Châlons et dans les environs, et ils durent les visiter à peu près tous. On les gava de petits fours, de canapés au saumon et de charcuterie, et on les abreuva des mêmes louanges que la veille : Ils étaient merveilleux. C’était irréel, et cela devenait lassant. Ils croisaient parfois Valérie et Frank chez les uns ou chez les autres, mais ils avaient à peine le temps de leur parler tant ils étaient accaparés – autant que les mariés.

            « Ce n’est pas tous les jours évident d’être une rock star, nota Jean-Marc.

            – Ne t’en fais pas, on va finir par se réveiller », dit Armando.

            En milieu d’après-midi, ils pensaient en avoir enfin terminé avec Châlons-en-Champagne et ses habitants mais leur guide déclara : « Vous ne pouvez pas quitter la région sans avoir vu la forêt des Faux. C’est un coin remarquable. »

            « Il ne va tout de même pas nous emmener cueillir les champignons », s’inquiéta Jean-Marc.

            La Forêt des Faux, à Verzy, à mi-chemin entre Reims et Châlons-en-Champagne, n’est pas connue pour ses bolets ou ses girolles. La Forêt des Faux a ceci de remarquable qu’elle abrite des arbres rares, issus d’une mutation génétique naturelle. Les Faux de Verzy sont des hêtres (parfois des chênes ou des châtaigniers) tortillards qui ne dépassent guère cinq mètres de hauteur bien que leur longévité soit de l’ordre de trois cent cinquante ans. Une force invisible maintient leurs branches tourmentées près du sol, comme si le ciel les écrasait. La science n’explique pas complètement ce phénomène. Jeanne d’Arc aurait escaladé un jour un Faux de Verzy et y aurait fait une sieste. Beaucoup de légendes circulent à propos des Faux de Verzy, l’atmosphère étrange et pour tout dire assez sinistre de l’endroit s’y prête, et le cousin Antoine, transformé en guide touristique, se faisait un plaisir de les détailler toutes tandis qu’ils arpentaient les sentiers balisés.  

             Le temps était affreux, heureusement, et il commençait à pleuvoir. Ils regagnèrent leurs autos. Jean-Marc et Armando  chargèrent le cousin de saluer tout le monde pour eux et prirent directement la route de Rouen. Ils arrivèrent à Rouen quand la nuit tombait.

Thomas Arfeuille 

6 février 2024

ANNIVERSAIRE AGLA 39 piges !

agla

- Tu vas avoir 39 ans le 17 Février si je ne me trompe ?... Ras le bol de toutes les rivières de diamants que je t'ai offertes ?! (Dan)

- Les diamants je les donne aux restos du cœur tu sais bien !!!! (aglaé)

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
RIS DE MOTS
Publicité
Newsletter
6 abonnés
Archives
Visiteurs
Depuis la création 5 929
Derniers commentaires
Publicité