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RIS DE MOTS
26 septembre 2022

N° 156... Dan

 maison-seule

N°156

- Yoram, donne-moi les clés de la Dauphine…

Quand Zélana use de cette voix qui rappelle nettement le bruit de la figue qui se déshabille, au ralenti, entre les doigts nerveux d'un puceau, je ne peux que m'exécuter.

« Tu ne m'ouvres pas la portière ? » lui susurrais-je en pensant à la douceur humide de ce fruit gorgé de confidences qu'elle étrangle entre ses cuisses. Elle est sur le point de dire une connerie, mais son sourire d'adorable salope empêche les mots de s'évader. J'enfonce plus loin les poings au bout des poches de mon jean comme si je m'accrochais à la balustrade invisible de la vie, celle qui se tient si près des couilles, là où tout est possible, vers le vertige aphrodisiaque, la peur du vide, les grandes questions qui glissent. Oui, je m'agrippe à la trique pour ne pas tomber dans la gadoue d'une réponse évidente.

- Ecoute Yor’, tu montes, je t'accompagne chez ton éditeur frustré, puant, gerbant, je m'en fous. Tu es suffisamment en retard comme ça !

Elle est belle quand elle gueule ma Zélana. Elle a une petite veine sur la tempe droite qui clignote et qui réclame. Son nez léger, libertin, s'emmêle dans les nuages comme s'il voulait attraper les coccinelles. La blancheur de ses canines balance ses danseuses en tutus de verre sur la lame de mes yeux.

Je lui lance les clés par-dessus le toit de la bagnole. Elle les rattrape entre les seins. Ce geste me permet de voir ce qu'elle porte sous son tailleur noir qui laisse passer mon regard dans un profond et fidèle respect. Le soutien-gorge rouge qui s'ouvre sur le devant. Celui que je lui ai offert le jour de mon anniversaire, cet été, à la terrasse du café Meursault. Elle m'avait demandé de lui rapporter une glace à la cerise. « S'il n'y en a pas, je ne veux rien d'autre » m'avait-elle prévenu en croisant les bras sur son tee-shirt à noisettes. (Deux petites noisettes qui jouaient à saute-mouton). Je n'ai pas trouvé son parfum et je suis revenu avec le soutif. Je reverrai toujours la tête du barman lorsque j'ai posé le tissu sur la table en disant : - C'est pour consommer sur place. Elle a eu alors ce geste intelligent, celui d'ôter ce qu'elle portait et d'enfiler avec grâce mon cadeau, en prenant tout son temps, sans me quitter une seule seconde des yeux… La terrasse était pleine à craquer, je me suis mis à rire et je l'ai embrassée dans le cou.

- A quoi penses-tu Yoram ?

La voiture grince. Nous sommes sur la route qui mène chez Bernard. Je ne réponds rien. Elle n'insiste pas. Mais soudain je hurle :

- Stop ! Fais marche arrière ! Tout de suite !

Zélana pile, recule immédiatement.

- Où dois-je m'arrêter ? Mais qu'est-ce… ?!

- C'est ici ! Arrête-toi. Là, cette maison ! Elle est à vendre.

Zélana largue la voiture dans l'herbe qui entoure la demeure. Vieille baraque essoufflée, agenouillée au milieu d'un pré envahi par les orties.

- C'est la maison !

- Quelle maison  ?…

- Mais la maison de mon roman ! oui ! c'est elle ! C'est à sa porte que je coince !…

   Zélana m'emboîte le pas jusqu'à l'entrée. Je frappe avec insistance, personne ne répond. Un numéro sur une plaque de métal rouillé : 156… Pas de poignée, pas de serrure, alors on entre. Vaste couloir, odeur de champignons, toile d'araignées, meubles partout sans aucune protection, incohérents, ne serait-ce que ce petit lit d'enfant le long du mur. Même bordel dans la cuisine, le salon, la salle à manger. Des fauteuils de tous les styles, disposés n'importe comment, une balancelle dont les coussins éventrés sont couverts de taches brunâtres. Des couvertures par terre, un pot de chambre sur un radiateur, des frites moisies, éclatées sur la tapisserie… puis une musique. Elle vient de l'étage juste au-dessus de nous. Derrière cette musique, des voix, ou plutôt des bruits de gourmandises odieuses : langues qui claquent, déglutitions laborieuses, excessives, soupirs extravagants, craquements de braise et d'os, liquides qui voyagent d'organe en organe, dents qui se cognent, se déchaussent, orifices qui se libèrent dans le fracas, flatulences, fesses béantes. L'orgie de bidoche roule sur le parquet par vagues précieuses dont les éclaboussures me remontent entre les doigts de pieds. J'imagine alors des centaines de baisers enfoncés dans un monceau de graisse animale, fœtus démesuré, troublant, vautré. Comme si la maison se mettait soudain à bouffer… à bouff... à b... à...

Dan

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Commentaires
D
A CROQUER !!!
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N
Merci pour les noisettes !
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S
Ça me fait penser à cette phrase de Winnicott : « L’effondrement a déjà eu lieu ».
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P
"m'agrippe à la trique"... mais quel prétentieux c'hui-ci ! ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Jolie histoire, j'aurai bien pris un peu plus de descriptif du changement de soutif, mais j'vais imaginer le reste. <br /> <br /> <br /> <br /> Très agréable lecture. <br /> <br /> <br /> <br /> Heu... elle rote pas, la maison, à la fin ? ^^
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T
Super ! J'aime beaucoup la"chute".
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A
Verve romantique du matin.... on recnnait le style même avant la signature!!!!agla
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